Issa Tchiroma Bakary, ministre de l’Emploi et de la Formation professionnelle (MINEFOP).
Monsieur le ministre, vous venez de publier une lettre circulaire relative aux modalités d’obtention des visas des contrats de travail des personnels de nationalité étrangère au Cameroun. Quel constat vous a-t-il amené à effectuer ce rappel ?
Le ministre de l’Emploi et de la Formation professionnelle (MINEFOP) dispose d’une prérogative de puissance publique, à travers laquelle il régule les flux de main-d’œuvre étrangère sur le territoire national et préserve l’emploi des nationaux dans les proportions prescrites par le gouvernement dans les entreprises, les grands projets et autres unités de production créatrices d’emplois, soit au moins 50% de l’effectif existant pour les emplois d’encadrement, 60% au moins pour les agents de maîtrises et 85% au moins pour les emplois d’exécution. Cette prérogative est exercée, à travers le visa des contrats de travail des personnels de nationalité étrangère. Ce visa est l’autorisation que le gouvernement donne, à travers le MINEFOP, à toute personne de nationalité étrangère qui désire exercer une activité professionnelle rémunérée au Cameroun. Il est subordonné à la production d’un dossier constitué de plusieurs pièces parmi lesquelles les références académiques et professionnelles du requérant qui permettent d’apprécier son savoir-faire, son expérience, notamment sa capacité technique et professionnelle à assurer le transfert de technologie et de compétence en faveur des nationaux. Car, en dehors des postes de management stratégiques, cette autorisation de travailler au Cameroun n’est accordée aux personnels de nationalité étrangère aux postes techniques que pour des besoins de transferts de compétences et de technologies en faveur des nationaux.
Qu’advient-il du contrat de travail en cas de refus du visa du personnel de nationalité étrangère ?
Si le visa est refusé, le contrat de travail du personnel de nationalité étrangère est nul et de nul effet. Le requérant malheureux doit cesser toute activité professionnelle au sein de l’entreprise où il se trouve et si ce travail est la seule raison pour laquelle le travailleur de nationalité étrangère séjourne au Cameroun, il est tenu de quitter le territoire national. Or, on constate que presque toutes les entreprises, mêmes celles qui sont à capitaux nationaux font recours à la main-d’œuvre de nationalité étrangère, sans se préoccuper de cet aspect de transferts de technologies et de compétences en faveur des nationaux. Il est certes vrai que les compétences techniques nationales sont déficitaires dans les domaines d’activités porteurs de croissance et d’emplois aux normes internationales requises, parce que, comme je l’ai souvent dit, notre système éducatif a mis beaucoup d’accent dans les formations théoriques, générales au détriment de la formation professionnelle, et que cette situation pourrait justifier le recours aux personnels de nationalité étrangère. Cependant, si rien n’est fait maintenant, eu égard à l’insuffisance des structures de formation professionnelle avec des plateaux techniques adéquats et des formateurs compétents, ainsi que l’insuffisance des ressources budgétaires dédiées aux activités de formation professionnelle, le Cameroun ne disposera pas toujours d’un capital humain compétitif pour les besoins de l’économie nationale durant plusieurs années et les jeunes risquent d’assister à l’émergence clé en main du Cameroun en 2035. Aussi m’a-t-il paru nécessaire de commencer à poser les bases d’un véritable transfert de technologies et de compétences en faveur des nationaux, auprès des experts issus des nations qui étaient comme nous avant, mais qui gouvernent le monde aujourd’hui, telles que la Chine, l’Inde, etc., sous forme d’apprentissage, assorti des mécanismes évidents de suivi-évaluation.
Au moins 10 000 travailleurs étrangers sont en situation irrégulière au Cameroun, contre 4000 régulièrement recensés. Qu’est-ce qui est à l’origine de ce boom et quels sont les secteurs d’activités les plus concernés ?
Permettez-moi de relever d’abord ici, afin d’éviter toute équivoque que le travailleur dont on parle est celui qui répond aux critères qui sont définis à l’article 1er de la loi n°92/007 du 14 août 1992 portant Code du Travail, à savoir toute personne de nationalité étrangère qui s’engage à mettre son activité professionnelle moyennant rémunération, sous la direction et l’autorité d’une personne physique ou morale, publique ou privée considérée comme employeur. Sont exclus de ce champ d’application, les actionnaires rémunérés au bénéfice, les touristes, les personnels en mission pour six mois au maximum, les étudiants et élèves en formation. L’article 27 alinéa 2 de la loi n°92/007 du 14 août 1992 portant Code du Travail au Cameroun dispose que le contrat de travail concernant un travailleur de nationalité étrangère doit, avant tout commencement d’exécution, être visé par le ministre chargé des questions d’emplois. La demande de visa incombe à l’employeur. Or, de nombreux travailleurs de nationalité étrangère sont recrutés sur place au mépris de la règlementation en vigueur. Certains d’entre eux sont admis sur le territoire national pour des motifs autres que l’exercice d’une activité professionnelle rémunérée (investisseur, homme d’affaires, commerçant, touriste, etc.), ils obtiennent des titres d’entrée et de séjour de la DGSN avec ces motifs erronés et exercent tranquillement une activité professionnelle sur le territoire national. Lorsqu’ils sont interpellés lors des contrôles des services compétents du MINEFOP, ils invoquent soit l’ignorance de la réglementation en vigueur, soit des ententes tacites que certains promoteurs de grands projets prétendent avoir conclues avec les administrations maîtresses d’ouvrages des grands projets relatifs à l’emploi d’une abondante maind’œuvre étrangère par souci de diligence dans l’exécution desdits projets. En effet, tous les secteurs d’activités sont concernés, mais, certains, du fait d’un déficit des compétences nationales sont pratiquement inondés de personnels de nationalité étrangère à tous les postes de cadre et à ceux qui requièrent une haute expertise technique, notamment : les grands projets infrastructurels, énergétiques, miniers, industriels, agricoles, TIC, agro-industriels, agro-alimentaires, le commerce, les études d’impact socio-environnemental des grands projets, tout ce qui est à for...
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