Le Cameroun conduit des réformes économiques avec l’appui des institutions financières internationales (IFI) depuis plus de trois décennies. Ces réformes ont permis au pays l’annulation d’une partie importante de sa dette extérieure et surtout, d’accéder au rang des pays à revenu intermédiaire de tranche inférieure. Il s’est par la suite fixé l’objectif de devenir un pays émergent (ou à revenu intermédiaire de tranche supérieure) en 2035. La réalisation de cet objectif ambitieux pourrait ne pas être atteint, en partie, parce que l’ordonnance keynésienne imposée par les IFI au Cameroun est inopérante, dans notre contexte caractérisé par un Etat peu efficace, une sous qualification humaine, une insuffisance des entrepreneurs, des entreprises et institutions publiques pas toujours bien gérées, etc. La plupart des réformes que le FMI appuie ont influencé faiblement la croissance économique et relativement moins, la création d’emplois. Une des explications, c’est que ces réformes ne prennent pas en compte le fait que l’économie permet de comprendre « pourquoi »1 .
… et tiennent faiblement compte des dysfonctionnements et paradoxes économiques.
Il faut tourner le dos à cette manière de conduire la politique économique ; celle où prime l’accessoire sur la variable décisive. Le Cameroun doit opter pour le schéma schumpetérien qui exige de lever les obstacles en mettant en place des réformes qui ciblent la performance et tient compte des pesanteurs et dysfonctionnements structurels de l’économie. Le Cameroun, pays au potentiel élevé, a de vraies chances de réaliser des objectifs ambitieux de croissance et d’emplois s’il maîtrise ses réels handicaps et paradoxes économiques : le Cameroun a bénéficié d’un allègement substantiel de sa dette extérieure, mais a été incapable de réduire fondamentalement la pauvreté ; ses ressources humaines sont réputées bien formées et son produit intérieur brut (PIB) représentait 44,6% de celui de la CEMAC en 2019, pourtant le pays n’arrive pas à assumer son rôle de leader naturel dans la région ; ses banques sont en surliquidité2 , mais elles financent mollement les petites et moyennes entreprises (PME). Sur la période 2018-2022, le Cameroun enregistre de mauvais scores en matière de disponibilité de capital-risque (en moyenne 27/100) et de financement des PME (en moyenne 36/100) dans le pilier « marché financier » du Forum économique mondial (FEM) ; ses entreprises sont dynamiques, mais, après plusieurs années d’existence de la Bourse des valeurs mobilières de Douala, seules six y sont aujourd’hui cotées ; un pays où le dynamisme entrepreneurial est reconnu comme le plus important dans la région, mais où le dispositif public d’accompagnement technique et de mise à niveau est le plus faible ; un pays agricole qui a longtemps été le principal grenier de la sous-région exportant des denrées alimentaires vers les autres pays de la CEMAC, mais qui, d’année en année, importe davantage de denrées alimentaires pour nourrir sa population3 . Malgré ses atouts et ses potentialités, les performances du secteur agricole restent à tous égards en deçà des attentes. Avec un taux de croissance moyen de 2,8% sur la période 2020-2023, il faudrait plus de douze ans au Cameroun pour faire partie des pays à revenu intermédiaire de tranche supérieure. Si le catalogue des pesanteurs et dysfonctionnement structurels est long, plusieurs autres handicaps plombent déjà l’existant. Entre autres contraintes auxquelles fait face le Cameroun, on peut relever le fait que le volume d’investissements dans la production des biens et services est insuffisant (taux d’investissement de 18% en 2022). Bien plus, la quantité marginale de capital d’investissement nécessaire pour générer une unité d’output (PIB) est de 5,2 points au Cameroun, au-dessus du seuil d’efficacité de 3. Le sous-emploi des ressources mobilisées est aussi un mal profond qui maintient l’économie dans le sentier d’une croissance anémique. Ces deux derniers résultats sont imputables aux difficultés observées dans la conduite à terme et/ou dans les délais impartis des projets d’investissements. Ceci fait également écho des retards observés dans la mise en service de certains projets d’investissements publics (énergie, télécommunications, autoroutes, etc.), retardant de ce fait la manifestation des effets escomptés en termes de réduction des coûts de certains facteurs ou l’accroissement de l’offre infrastructurelle. Entre parenthèses, il est donc impérieux d’améliorer la conduite des projets de développement dans notre pays, en adoptant une approche holistique et une démarche schumpetérienne. La réussite d’un projet est une parfaite combinaison entre des personnes compétentes, des méthodes performantes et des outils efficaces. Les coûts de facteurs de production et de transactions sont relativement élevés au Cameroun. En outre, les intrants généralement fournis de l’extérieur, pèsent lourd dans la structure de coût des entreprises. Le solde de la balance des paiements courants est déficitaire depuis 2007. Ce déficit est la résultante d’une balance des biens durablement défavorable. En 2022, le déficit de la balance commerciale hors pétrole a frôlé les 3 000 milliards de FCFA, avec une forte contribution du carburant et lubrifiants (déficit de 1000 milliards de FCFA), premier produit importé. De nombreuses contraintes continuent d’entraver le développement du commerce extérieur, au rang desquelles : l’identification des marchés et acheteurs potentiels, l’accès aux intrants à des prix compétitifs, et les coûts liés au transport international pour ce qui est de l’exportation ; la faible appropriation des réformes pour ce qui est de l’importation. Le déficit du solde primaire, qui permet de mesurer la capacité de l’Etat à intervenir dans l’économie et soutenir ses stratégies d’équipement sur le long terme, est sur une tendance baissière, passant de 2,6% du PIB en 2020 à 0,4% en 2022. En 2022, le ratio de la dette publique est évalué à 44,8%, et celui de la dette extérieure se situe à 29,5% du PIB.
Essai de formulation d’une nouvelle approche
La consolidation de la stabilité macroéconomique est certes un facteur de compétitivité, mais il est souhaitable pour le Cameroun de se focaliser sur des questions de développement économique que des déséquilibres macro-budgétaires : augmenter la production (agricole et industrielle) et mettre en place des infrastructures économiques clés. L’origine d’une croissance économique faible par rapport à la croissance potentielle tient surtout à des questions structurelles et institutionnelles. Le Cameroun doit adopter une nouvelle approche qui tourne le dos aux prescriptions néolibérales. Tout en s’inspirant des expériences des pays qui ont réussi, il est temps de concevoir l’économie camerounaise en sortant des sentiers battus, pour formuler des politiques pragmatiques et à même de répondre aux défis qui interpellent le pays. Il est ainsi crucial de poursuivre la construction de l’Etat de droit, par l’amélioration de l’ind&e...
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